La Presse, 4 janvier 1995
Par Éric Clément
Relance d'une enquête vieille de 25 ans sur la mort suspecte d'un policier
« Ma soeur l'avait vu écrire sur son calepin durant cette période, dit Jacques Dupont. Pourtant, on n'a pas retrouvé ces pages dans lesquelles il y avait les gros noms cités lors de son audition. À Trois-Rivières, il y a des personnes qui savent qui sont ces gros noms-là. »
Le journaliste du Nouvelliste de
TroisRivières, Guy Veillette, n'a jamais réussi à retrouver une copie du
témoignage de Louis-Georges Dupont lors de l'enquête spéciale : « J'ai
rencontré de nombreuses personnes parmi celles qui ont vécu les événements,
explique M. Veillette. Il y en a qui parlaient beaucoup et d'autres, qui
faisaient partie de l'état
major, qui parlaient peu. Un nommé Poitras semblait très mal à l'aise quand
je lui ai posé des questions. Il me répondait tout le temps que 4 le passé,
c'est du passé*. »
Jointe à son domicile, hier, la veuve du policier, Mme Jeanne d'Arc Dupont, s'est dite heureuse de voir que l'enquête a été rouverte. « Mon mari me l'avait dit qu'on voulait le tuer, dit-elle. Il avait témoigné contre des collègues. Et des policiers de la sûreté municipale lui avaient demandé de l'argent par rapport à l'enquête pour laquelle il avait témoigné. Vous savez, il y en a eu plein des mauvaises affaires à la police de Trois-Rivières. »
Comme l'enquête est rouverte, Mme Dupont ne veut pas donner de noms ni accuser qui que ce soit. Mais elle a son idée derrière la tête. Et elle compte bien qu'on rende enfin justice à son mari. « Cela faisait dix ans qu'il était détective, dit-elle. Je n'ai même pas eu de pension parce qu'on a conclu au suicide. Et j'ai dû élever mes enfants toute seule.»
Encore récemment, le maire de TroisRivières, Guy Leblanc, aurait refusé de donner son aide à la famille Dupont, dans sa demande d'une enquête publique, à moins qu'elle ne retire son action en justice qui vise à obtenir une compensation de 300 000$ pour la mort du policier.
Le sergent-détective Louis-Georges Dupont avait trouvé la mort dans des circonstances troublantes le 10 novembre 1969, quelques semaines après qu'il eut témoigné lors d'une enquête spéciale sur la police locale. Le médecin légiste, le Dr Jean Hould, avait conclu au suicide d'une balle dans la poitrine. Mais la famille du policier a toujours dit qu'il s'agissait d'un meurtre car on aurait voulu faire taire le policier intègre.
De gros noms
Selon son fils, Jacques Dupont, le
défunt policier avait dénoncé «de gros noms » de la police de
Trois-Rivières. « Il y avait des liens entre des policiers municipaux et le
milieu de la prostitution, raconte-t-il à La Presse. Certains retiraient des
pots-de-vin et fermaient les yeux sur les agissements de nombreuses
prostituées. Ils devaient même
être de connivence avec des hommes politiques et des juges. Plusieurs
policiers ont perdu leur poste à la suite de cette affaire. »
Le supérieur immédiat de LouisGeorges
Dupont, le lieutenant-détective Jean-Marie Hubert, fut congédié. Il semble
qu'il vive actuellement en Floride. Il avait été l'un des deux policiers à
enquêter sur la mort de M. Dupont, malgré le conflit d'intérêts que cela
représentait. Le chef de la police municipale avait, quant à lui,
démissionné.
Cette histoire à saveur de « Montréal P.Q. » est remontée à la surface depuis l'an dernier au moment où deux médecins légistes, un de New York et l'autre de Vancouver, tous deux contactés par la famille Dupont, ont abondé dans le sens du meurtre d'une balle dans le dos et contredit la version exprimée à l'origine par le coroner et le Dr Jean Hould.
Le coroner avait conclu au suicide même si aucune empreinte digitale de Louis-Georges Dupont n'avaient été trouvée sur le revolver qui avait causé la mort. Le Dr Hould n'a voulu faire aucun commentaire, hier soir. Il est toujours médecin légiste, mais à Montréal.
La famille Dupont veut plus qu'un supplément d'information exigé par le
ministre Ménard à la Sûreté du Québec pour la fin du mois. Elle veut une
véritable enquête publique pour faire toute la lumière sur les agissements
des autorités policières locales de l'époque.
«Si la SQ ne vient pas nous voir, comme
cela s'est déjà produit, on n'y croira pas à leur enquête, dit M. Jacques
Dupont. En 1992, on avait déjà fait une demande et le numéro 2 de la SQ, M.
Claude Queen, avait fait un rapport insignifiant et indigne d'un cadre
supérieur de la police. »